Louis Fontanges fut maire de Villefranche-de-Rouergue à trois reprises, de 1925 à 1929, de 1938 à 1944 et de 1948 à 1953.
Né en 1874, Louis Fontanges fait Polytechnique avant de servir comme colonel durant la Première guerre mondiale. Il en revient mutilé.
A Villefranche, il est connu pour être un tanneur talentueux : ses cuirs de couleur destinés à l’ameublement sont exportés jusqu’en Nouvelle-Zélande.
En 1925, à l’âge de 51 ans, il est élu maire une première fois.
En 1938, la population de Villefranche le plébiscite pour un second mandat : il a 64 ans.
Fontanges aura la lourde tâche d’administrer la ville sous l’occupation, qui commence pour les villes du Sud de la France à la toute fin de 1942 avec la suppression de la “zone libre” et de la ligne de démarcation.
En Aveyron, les Allemands s’installent d’abord à Rodez.
L’occupation.
Début août 1943, les Allemands envoient une garnison à Villefranche, qui n’avait pas encore été occupée.
La Kommandantur de Rodez demande à Louis Fontanges d’accueillir les soldats du bataillon de la 13ème division SS. A cette occasion, les écoles sont réquisitionnées (Pendariès, Notre-Dame), ainsi que l’hôtel Moderne donnant sur la promenade du Guiraudet en vue d’héberger les officiers SS.
A la fois ferme et diplomate, maîtrisant bien la langue allemande, Louis Fontanges sait se faire respecter face à l’occupant. Pour preuve ce témoignage retrouvé dans un manuscrit anonyme :
Est-il besoin de rappeler encore l’attitude militaire (chère aux Allemands) que sut observer M. Fontanges en plusieurs circonstances, entre autres un feldwebel entré sans frapper dans son bureau, fut brutalement mis au garde-à-vous par M. Fontanges, qui lui ordonna en allemand de faire demi-tour. Ce sous-officier sut par la suite comment il convenait de se présenter devant un colonel français.
Les “Croates”.
La 13ème division SS stationnée à Villefranche est surtout composée de recrues en formation, en provenance du Pays Croate Indépendant, état satellite du IIIème Reich. Les soldats sont des Croates catholiques et des Bosniaques musulmans, tous méprisés et maltraités par les officiers allemands.
Brimades, insultes, traitements humiliants, coups de poing et de bottes sont le quotidien de ces 700 jeunes hommes originaires des Balkans. Courant août 1943, certains désertent, malgré le risque d’être repris et fusillés.
Le 30 août 1943, Louis Fontanges fait part à l’obersturmführer Kunt de ces mauvais traitements. Il demande à ce que les officiers mettent en place des mesures de sécurité lors des entraînements pour éviter tout incident pouvant rejaillir sur les habitants.
Le 16 septembre, deux soldats bosniaques parviennent à se procurer des vêtements civils auprès de la population villefranchoise et s’enfuient. Les derniers détails du projet de mutinerie prévu pour le lendemain sont réglés.
La révolte des Croates et la terrible répression.
Le 17 septembre 1943, à l’aube, une dizaine de soldats croates font irruption à l’hôtel Moderne et s’emparent des officiers, tandis qu’un autre groupe neutralise les sous-officiers logés au collège de la Douve. Les révoltés tuent cinq officiers allemands et se rendent maîtres de la ville durant quelques heures.
Fontanges est alerté. Il se rend immédiatement à la mairie et interpelle le docteur Schweiger (seul rescapé des officiers logeant à l’hôtel Moderne) pour lui demander que la chasse aux mutins se fasse en prenant garde à ne pas blesser les civils.
La Kommandantur de Rodez est alertée de la révolte et envoie immédiatement plusieurs camions pour mater la mutinerie, dont certains viennent de Mende. C’est une véritable chasse à l’homme qui se joue ensuite dans les rues, les maisons, les cages d’escalier, les égouts de la ville. On entend des explosions de grenades et des coups de feu. Les habitants se calfeutrent. Des mutins sont capturés et emmenés au collège.
Des Villefranchois aussi sont arrêtés sans raison. Apprenant cela, Louis Fontanges se rend au collège vers 19h00 (toujours le 17 septembre). On lui apprend que le Commandant de la division de Mende se trouve à l’Ecole primaire supérieure, située en haut de la ville. Fontanges se fait conduire en voiture par un officier allemand. Fontanges exige la libération des Villefranchois, ce qu’il obtient. Pendant ce temps, des dizaines de Croates sont arrêtés et conduits vers le haut de la ville pour y être torturés et massacrés. On commence à craindre que Villefranche ne soit entièrement rasée.
Une très longue nuit (17 au 18 septembre 1943).
Vers 21h00, alors que Louis Fontanges a regagné son domicile, un capitaine allemand se présente chez lui accompagné d’une quarantaine d’hommes et lui apprend qu’il est en état d’arrestation.
Fontanges est amené à l’hôtel de ville, où il sera séquestré dans la salle d’honneur. Peu après, on lui donne l’autorisation de retourner chez lui, mais vers 1h00 du matin, la Gestapo lui demande de se rendre avec son secrétaire Auguste Bonnet à l’Ecole supérieure de jeunes filles. Là, les dignitaires allemands le forcent à regarder les corps des cinq officiers allemands tués par les Croates en début de journée. Le général allemand explose : la population de Villefranche est complice et elle doit payer. Fontanges proteste vigoureusement, au péril de sa vie.
A 3h00 du matin le 18 septembre, les Allemands rédigent un manifeste que le maire sera chargé de faire imprimer dans la nuit avant d’être affiché dans la ville, instaurant la loi martiale, laquelle sera finalement levée 24 heures plus tard.
Le 19 septembre, la chasse à l’homme continue, bien que plus discrète. Le 20 septembre, Louis Fontanges ordonne la fermeture des cafés à 21h00.
Le 28 septembre, quatre Croates sont encore fusillés.
Le 30 septembre, un train de matériel et de troupes quitte enfin Villefranche. Le 2 octobre, les officiers SS de la 13ème Division viennent saluer Fontanges et annoncent leur départ. Pourtant, courant octobre, perquisitions, fouilles et arrestations se poursuivent dans la ville : les Allemands arrêtent et interrogent les supposés complices des mutins.
Afin de ne pendre aucun risque, Louis Fontanges prendra soin de faire enlever les gerbes de fleurs posées quotidiennement par les habitants au pré Sainte-Marguerite, à l’endroit même où un grand nombre de Croates ont été massacrés.
Le journal de Louis Fontanges.
Louis Fontanges est l’auteur d’un journal, Journal de l’occupation allemande à Villefranche en août et septembre 1943. Ce document unique permet de mesurer son action exceptionnelle durant l’épisode de la révolte des Croates.
Terminant son mandat en 1944, Louis Fontanges sera réélu maire en 1948 jusqu’en 1953. Il mourra en 1964.
Le 17 septembre 2003, une plaque a été apposée sur la façade du n°23, rue Bories, commémorant l’action de Louis Fontanges :
Lire aussi :
Les Révoltés de Villefranche. Mutinerie d’un bataillon de Waffen-SS (septembre 1943). Mirko D. Grmek, Louise L. Lambrichs
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