Des années durant, le touriste arpentant les rues du centre ancien de Villefranche levait la tête et scrutait les enseignes en cherchant la croix verte de la pharmacie Fabre.
Surnommé par les éditorialistes politiques des années 1970, “le pharmacien de Villefranche” Robert Fabre aura braqué sur sa cité les projecteurs de la célébrité.
C’est lui qui, président du Mouvement des Radicaux de Gauche, claqua en 1977 la porte au nez de Georges Marchais, alors second pilier d’un programme commun qu’il avait paraphé au nom des Radicaux de gauche. C’était quelques jours à peine avant la rupture de l’union de la gauche.
Personnalité atypique, ce Villefranchois se défendait toujours : “je ne suis pas un homme politique”.
Lorsqu’en 1953, il s’empara de la mairie à la tête d’une liste de jeunes, pour la plupart issus du mouvement associatif, il n’imaginait pas qu’il mettait le pied à l’étrier d’une pourtant longue et exemplaire carrière.
Mais il concéda toujours un attachement indéfectible à la fonction de maire. À ses yeux, la responsabilité et le concret de l’action, donnaient à celui-ci un pouvoir qui n’avait rien de commun avec celui du député de base. “Quand on est jeune, aimait-il à rappeler, on rêve d’accéder à l’Assemblée nationale pour y prononcer des discours fulgurants”.
Député, il le deviendra en 1962, sur ces terres labourées plus tôt par un prédécesseur célèbre : Paul Ramadier. Dans une circonscription en crise entre un Bassin où les mines furent laminées par le pouvoir central et une agriculture saignée à blanc par l’exode, son radicalisme humaniste s’imposa.
Tous ses adversaires, y compris dans les périodes de fiascos électoraux de la gauche, se cassèrent les dents contre la muraille Fabre. Jusqu’à ce jeune loup qu’était alors Jean Puech qui, en 1973, pour quelques dizaines de voix mordit la poussière au terme d’une campagne d’une rare intensité.
Alors qu’aucun des leaders de gauche ne voulait dialoguer avec le président Valéry Giscard d’Estaing, Robert Fabre sera un des pionniers de l’ouverture. Élu d’opposition, en 1978, il accepta la mission autour de l’emploi que lui confia le Président. Fier du rapport rendu au Premier ministre Raymond Barre où il était (déjà) question de réduction du temps de travail, d’allégement des charges sociales, d’insertion…
Médiateur, il essaiera de renforcer la fonction, alors qu’au Conseil constitutionnel il lâchera un “la constitution c’est notre bible” qui a fait école. Jamais il ne fut ministre, et pourtant…
Visionnaire, Robert Fabre le fut aussi pour sa ville. Outre différents aménagements comme la construction de la première piscine de plein air, jouxtant le stade du Teulel, c’est bien en matière d’urbanisme qu’en tant que maire il se singularisa.
C’est lui qui eu l’idée au début des années 1960 d’embaucher un architecte-conseil, en la personne de Claude Calmettes. A force de longs échanges, l’un comme l’autre réfléchirent sur le devenir de la bastide, concept historico-urbanistique peu utilisé alors. Il fut, déjà, question d’aération, même si les mentalités n’y étaient pas prêtes.
Mais c’est plus sur la création d’un quartier neuf fait de barres d’immeubles, dont le choix de l’exposition sur les hauteurs de la ville ne doit rien au hasard, mais aussi d’un ensemble pavillonnaire, d’une école, d’un gymnase, puis d’un collège qui sera le marqueur majeur des années Fabre à la tête de la commune. Le quartier du Tricot venait de naître sur d’anciennes terres de vignes et de pâturages.
Puisse l’avenir porter en lui d’autres hommes, comme lui, aux convictions inébranlables et à la sagesse profonde. De ces hommes qui hissent l’engagement au rang de valeur et de fondement de toute société.
Voici la biographie complète de Robert Fabre.
Voir aussi la liste des maires de Villefranche-de-Rouergue.
Robert Fabre : biographie.
Robert Fabre est né le 21 décembre 1915 à Villefranche-de-Rouergue.
Il est le petit-fils de Marcellin Fabre, maire de Villefranche-de-Rouergue à deux reprises (de 1886 à 1889, et de 1892 à 1904) et le fils de Georges Fabre et de Louise Feille.
Pharmacien comme son père et son grand-père, Robert Fabre sera maire de Villefranche-de-Rouergue de 1953 à 1983.
Robert Fabre, un pharmacien de Villefranche-de-Rouergue.
Robert Fabre est issu d’une famille de notables villefranchois propriétaires d’une pharmacie dans la rue qui porte le nom de Marcellin-Fabre (actuelle pharmacie Carnus, au n°13).
Sa jeunesse est marquée par le scoutisme : il appartient au mouvement des Eclaireurs de France, dont il est chef de groupe.
Diplômé de la faculté de médecine et pharmacie de Toulouse, Robert Fabre reprend la pharmacie familiale à la veille de la guerre.
Il est mobilisé en 1940 et retenu prisonnier durant 3 mois. Sous l’Occupation, il participe localement à la Résistance, engagement sur lequel il restera humble.
Il se marie en 1942. La guerre terminée, Robert Fabre s’investit totalement dans la pharmacie. Mais une autre facette de l’héritage familial le rattrape : la politique.
De 1946 à 1949, il préside le syndicat d’initiative de Villefranche-de-Rouergue. En 1953, il se présente à la mairie de Villefranche-de-Rouergue.
Elu maire de Villefranche-de-Rouergue à 38 ans.
Robert Fabre est élu maire (sans étiquette) en 1953 : il a 38 ans. Il sera réélu 4 fois (1959, 1965, 1971 et 1977).
En 1955, il adhère au Parti radical et radical-socialiste, avant d’en prendre la présidence locale.
En 1961, il devient conseiller général de l’Aveyron ; il le restera jusqu’en 1986. Un an plus tard, en 1962, il est élu député de l’Aveyron, fonction qu’il occupera jusqu’en 1980.
Sous sa mandature, Villefranche se transforme : la ville s’étend au-delà du périmètre de la bastide, se modernise. Le quartier du Tricot est créé, avec ses barres, son école et ses équipements sportifs modernes.
Robert Fabre n’hésite pas à travailler avec la droite locale : son premier adjoint et président de la commission des finances est Albert Trébosc (député des Indépendants et Paysans de 1958 à 1962). Il s’entoure aussi de René Jayr (sénateur MRP de 1946 à 1948), de Robert Escaffre (président départemental des écoles catholiques), Jean-Pierre Gaubert, Robert Roques ou encore Etienne Bouyou.
Il faudra attendre les municipales de 1977 pour que Robert Fabre conduise une liste d’union de la gauche.
En 1979, la municipalité acquiert un petit trésor : la collection jazz Hugues Panassié, conservée à la médiathèque municipale.
L’irrésistible ascension nationale.
Lors de son premier mandat à l’Assemblée nationale, Robert Fabre siège dans le groupe Rassemblement démocratique, constitué autour du Parti radical. Ses interventions pertinentes sont remarquées. Il s’oppose clairement au système de gouvernement gaulliste. Il défend le bassin houiller de Decazeville, s’exprime sur la question des prix agricoles, de la Sécurité sociale, de la santé et de l’aménagement du territoire.
Sa percée dans le paysage politique français est rendue possible par l’éclatement du Parti radical en 1972. Un an plus tôt, le leader du parti, Jean-Jacques Servan Schreiber, refusait l’union avec les communistes souhaitée par François Mitterrand et ralliait les centristes de Jean Lecanuet.
Robert Fabre en profite pour fonder le Mouvement des radicaux de gauche (MRG), signataire du Programme commun. Fabre soutient la candidature unique de François Mitterrand pour l’élection présidentielle de 1974.
Le “troisième homme” du Programme commun.
La signature du Programme commun de la gauche en 1972 projette Robert Fabre sous les feux de la rampe, aux côtés de François Mitterrand et du communiste Georges Marchais.
Meetings, télévision, interviews : le président du MRG est au centre de l’attention, car, pour modeste qu’il soit, son mouvement est la caution centriste de l’union.
En 1974, l’union de la gauche connaît un échec avec la défaite de François Mitterrand face à Valéry Giscard d’Estaing lors de l’élection présidentielle. Robert Fabre prend de la distance vis-à-vis de ses partenaires.
En 1975, il prend l’initiative d’une audience auprès du président Giscard d’Estaing : c’est la première fois qu’un leader d’opposition est reçu à l’Elysée sous la Vème République. Une rencontre qui fera couler beaucoup d’encre.
En 1976, il sort son premier livre : Quelques baies de Genièvre.
Les difficultés de l’union de la gauche rebondissent en 1977 avec la mise à jour du Programme commun, à l’approche de législatives. Robert Fabre signe un coup d’éclat en rompant les négociations, reprochant aux communistes de jouer la surenchère.
Cependant, aux législatives de 1978, Robert Fabre appelle ses candidats à se désister au second tour en faveur des forces de gauche, ce qui ne permet pas d’éviter la défaite.
En septembre 1978, Fabre accepte une mission d’étude sur les problèmes de l’emploi confiée par Valéry Giscard d’Estaing. Cela lui vaut d’être exclu du groupe socialiste et apparentés de l’Assemblée. Il laisse la présidence du MRG à Michel Crépeau, plus ancré à gauche, et règle ses comptes dans son livre Toute vérité est bonne à dire.
La nomination au poste de Médiateur de la République (1980).
En 1979, Fabre reçoit le président Giscard d’Estaing à Villefranche-de-Rouergue.
La même année, il annonce qu’il ne briguera pas de nouveau mandat de conseiller général ; Jean Rigal (MRG) lui succède dans le canton de Villefranche.
Fabre quitte aussi le conseil régional de Midi-Pyrénées, dont il a été vice-président durant 2 ans. Il démissionne enfin de son mandat de député le 19 septembre 1980.
Ces démissions ouvrent la voie à sa nomination en tant que Médiateur de la République par Valéry Giscard d’Estaing en 1980, un poste important qui vise à améliorer les relations entre les citoyens et l’administration. François Mitterrand le maintiendra à ce poste.
Nomination au Conseil constitutionnel.
En février 1986, sept mois avant l’expiration de son mandat de Médiateur, Robert Fabre est nommé membre du Conseil constitutionnel par Louis Mermaz, président de l’Assemblée nationale. Il y siègera jusqu’en 1995.
La nomination de Robert Fabre au Conseil constitutionnel marquera l’apogée mais aussi la fin de sa carrière politique.
Bilan de carrière.
La carrière de Robert Fabre est impressionnante, bien qu’elle illustre les hésitations du radicalisme sous la Vème République, force minoritaire victime de la bipolarisation du jeu politique.
Pourtant, le radicalisme de Robert Fabre n’était ni une faiblesse, ni un opportunisme : il s’inscrivait dans une tradition républicaine d’indépendance et de tolérance.
Le “petit pharmacien de Villefranche”, comme on l’appelait, était profondément honnête et humaniste. Il aimait écrire et peindre. Il se sentait aussi bien dans sa pharmacie de province que sous les dorures des palais parisiens.
A Villefranche, Robert Fabre a laissé son nom au groupe scolaire et au gymnase du quartier du Tricot.
Robert Fabre, père que quatre filles (de deux unions différentes), s’éteindra le 23 décembre 2006 à Villefranche-de-Rouergue, à l’âge de 91 ans, des suites d’une longue maladie. Il est enterré au cimetière Sainte-Marguerite de Villefranche-de-Rouergue.
Les livres de Robert Fabre :
- Quelques baies de genièvre, Lattès, 1976
- Toute vérité est bonne à dire, Ramsay, 1978
- Quatre grains d’ellébore, Ramsay, 2003.
Les distinctions de Robert Fabre :
- Officier de l’Ordre national du Sénégal en 1959
- Chevalier de la Santé publique en 1961
- Chevalier des Palmes académiques
- Médaille départementale et communale argent en 1983
- Chevalier de la Légion d’honneur en 1995
Lire aussi cette biographie complète de Robert Fabre.
Voir aussi la liste des personnages célèbres de Villefranche.