Raymond Savignac (dit “Savignac” – 1907-2002) est un célèbre affichiste dont les créations font aujourd’hui partie du patrimoine culturel français.
La vache posant sur un piédestal de Monsavon, c’est lui. Le monsieur chauve qui fait la grimace alors qu’une file de voitures s’engouffre dans ses oreilles (pub Aspro), c’est lui aussi. Sans oublier la gitane de la Seita. De Cinzano à Bic en passant par Perrier et Vespa, les marques emblématiques n’auraient pas leur place dans l’imaginaire populaire sans Raymond Savignac.
A Villefranche-de-Rouergue, Raymond Savignac est aussi connu pour avoir donné son nom au lycée Savignac.
Retour sur la vie et l’oeuvre de ce grand affichiste.
Les Savignac : une famille villefranchoise à Paris.
Raymond Savignac est un fils de Villefranchois montés à Paris à la Belle Epoque pour tenir un bistrot.
Originaire des environs de Villefranche, son père tombe amoureux d’une jeune bourgeoise de la bastide. Mais cette union est mal acceptée par la belle-famille : les tourtereaux décident alors de “monter à la capitale”, comme de nombreux Rouergats.
Les Savignac tiennent un petit bistrot ouvrier de la rue Glacière. Madame tient la cuisine, Monsieur sert en salle, aidé d’un garçon de café. Le petit Raymond naît en novembre 1907.
Raymond grandit dans les rues de Paris, à l’époque où les marchands de bière créent leurs propres publicités. La rue et le bistrot sont des lieux d’observation et d’émerveillement : les visages des habitués, les marques de boissons, les logos sur les caisses de vin, les ambiances, les attitudes, les postures…
Dans les derniers temps de la Première guerre mondiale, la mère de Raymond, fatiguée par la guerre, décide de retourner à Villefranche-de-Rouergue avec son fils pour travailler dans la confection. C’est là que Raymond découvre le charme de la vie aveyronnaise, sa douceur et ses rites. Ces quelques temps passés à Villefranche le marqueront profondément.
De retour à Paris, Raymond vit une adolescence épanouie rue des Petits Carreaux (quartier du Sentier) où ses parents ont repris un bar-tabac. Raymond s’attarde chez les chapeliers et les imprimeurs du coin, apprend à fumer et à jouer au billard. Il délaisse l’affaire familiale et les études pour trainer dans les cafés de Montparnasse ou Saint-Germain-des-Prés…
Une entrée remarquée dans le monde de l’affiche.
En 1922, Savignac débute comme dessinateur-calqueur et suit des cours du soir de dessin industriel.
En 1925, il entre chez Robert Lortac, qui dirige un studio de dessin animé à Montrouge. Il y décalque des affiches pour les inclure dans des animations publicitaires. Il reproduit des œuvres des grands créateurs de l’époque (Cassandre, Loupot, Carlu…).
Au début des années 1930, Savignac connaît la crise et les déboires professionnels.
Mais en 1933, il réussit à entrer en contact avec le grand affichiste Cassandre, qui lui commande une première affiche pour la marque de Roquefort Maria Grimal, et l’embauchera quelques temps après à l’Alliance graphique (1935).
Savignac crée entre autres les affiches ACF (1937) et Autorail (1937), encore très influencées par le style de Cassandre :
À la fin de 1938, Cassandre, en partance pour les États-Unis, fait entrer Savignac comme dessinateur-maquettiste à l’imprimerie Draeger Frères.
Mobilisé en 1939, Savignac rejoint Paris après l’armistice. Il est embauché au Consortium général de publicité où il travaille de 1943 à 1947.
Mais c’est après la Seconde guerre mondiale que le talent et la renommée de Savignac explosent. Savignac s’installe alors comme indépendant. Sa “patte” va accompagner l’expansion de la publicité et des marques durant les Trente Glorieuses.
Il signe son premier coup de maître en 1949 pour Monsavon, avec l’affiche d’une vache trônant sur un savon : le lait coule de ses pis directement dans le savon, créant une sorte d’idéogramme.
Savignac assume des affiches qui “secouent” le consommateur. Il ose des publicités qui ne montrent aucune solution, aucune promesse, mais qui marquent les esprits par d’autres moyens.
C’est notamment le côté gag visuel qui attire l’œil et fait mouche : c’est un humour léger, gai, frais, expressif, naïf, poétique, optimiste, rêveur, qui constitue la marque de Savignac.
Quand les plus grandes marques font appel à Savignac.
A partir de 1950, les plus grandes marques françaises et européennes s’arrachent les talents de Savignac, qui fait preuve d’une créativité exceptionnelle, et qui devient par ailleurs membre de l’Alliance graphique internationale (1952).
Savignac crée notamment :
- la femme qui se tricote les cheveux pour les Laines d’Aoust (1949/1951),
- le zèbre de Cinzano (1951),
- la gitane de la Seita (1954),
- la girafe d’Air France (1956),
- le bœuf du pot au feu Maggi (1959),
- le gamin du stylo à bille Bic (1960),
- le migraineux qui voit sa tête traversée par un embouteillage, pour Aspro (1963, médaille d’or Martini en 1964),
- et bien d’autres affiches pour la SNCF, Océanic, Frigeco, Michelin, Vichy-Célestin, Tréca, Perrier, Pirelli, Olivetti, Omo, etc.
Dans les années 1950 et 1960, le talent de Savignac donne naissance à une véritable école française de l’affiche.
Voici quelques-unes des affiches les plus connues de Savignac :
Le tournant de la publicité photo.
Dans les années 1970, les agences de publicité privilégient de plus en plus la photographie.
Déçu par ce nouveau conformisme, Savignac conçoit alors une série de vingt-quatre tableaux sarcastiques sous le titre Défense d’afficher, dont l’éditeur Delpire publie une sélection en 1971.
Il s’agit d’une série d’affiches contestataires, telle celle représentant la cathédrale Notre-Dame menacée par les voitures et la pollution (Non à l’autoroute rive gauche, 1973).
Paradoxalement ces affiches relancent les commandes.
Affiches de films et de spectacles.
Savignac est aussi l’auteur d’affiches de films :
- La Guerre des boutons (Yves Robert, 1962),
- Bébert et l’Omnibus (Yves Robert, 1963),
- Mortadella (Mario Monicelli, 1971),
- Lancelot du Lac (Robert Bresson, 1974),
- et bien d’autres.
Savignac participe en outre à la promotion de différents spectacles de variétés, dont une affiche pour Raymond Devos (1967) qui lui vaut un an plus tard le grand prix Martini.
Fin de carrière à Trouville.
Savignac s’installe à Trouville-sur-Mer (près de Deauville) au début des années 1980. Mais ça n’est pas pour autant qu’il s’arrête de dessiner.
Savignac reçoit même le grand prix de l’affiche française pour la campagne Citroën (1981). Il dessine pour ATD Quart Monde (1982), pour Maurice Baquet (1983), pour le cirque (1984) ou encore pour Air France (1985), dans un éventail très large qui va bien au-delà des seules marques commerciales.
Il continuera à créer des affiches jusqu’à la fin de la vie, par exemple pour Trouville, pour le cognac Hennessy ou des restaurants, toujours avec la même fraicheur.
Une promenade sur la plage de Trouville lui est aujourd’hui dédiée.
Ceux qui ont pu rencontrer Savignac parlent d’un homme réservé, élégant, pudique et spirituel, cachant sa formidable et audacieuse créativité.
Publications, films, expositions sur Raymond Savignac.
- Affichiste (Un Homme et son métier), autobiographie de Raymond Savignac, Robert Laffont, 1975
- L’affiche de A à Z, publication de Raymond Savignac, Hoëbeke, 2001
- Savignac homme de la rue, vidéo-film de Danièle Costes-Lombard (1986)
- Savignac, de Jacques Meny et Pierre-André Boutang (FR3, 1993)
- Fonds de la Bibliothèque Forney, Paris.
- Lire aussi cet article du Monde.