Depuis la fin du XVIème siècle, les paysans étaient en révolte. Dans le Limousin, en 1594, avaient éclaté les premiers troubles puis, plus tard en 1624, dans le Quercy.
En 1640, le peuple croulait sous les impôts : la taille et la gabelle étaient en constante augmentation. Les paysans du Rouergue étaient dans la misère. Ils subissaient des conditions météorologiques exceptionnellement désastreuses (grêle et orages), tandis que des épidémies décimaient leurs animaux.
La disette et la famine étaient devenues le quotidien. La colère s’était installée dans les campagnes, préfigurant un soulèvement que bon nombre d’habitants appelaient de leurs vœux.
En 1641, un sellier villefranchois, Bernard Calmels dit Lafourque, intenta un procès contre la taille perçue par les consuls de la cité. Le 2 mai 1643, au cours d’une altercation avec le receveur de la taille, Jean de Pomairols, Lafourque fut blessé par l’épée de ce dernier et laissé pour mort dans la rue Droite de la ville, actuelle rue de la République.
Aussitôt, d’autres contestataires rejoignirent Calmels dans son combat contre l’administration royale. Parmi eux, Jean Petit, chirurgien et barbier, ainsi que le maçon Guillaume Brasc, dit Lapaille.
Le début des troubles.
En janvier 1643, les populations rurales entrèrent en rébellion et commencèrent leurs agitations. On appela alors ces protestataires les croquants. Le 2 juin de cette même année, un millier de croquants, conduits par Petit, Brasc et Calmels, investirent Villefranche. Le 27 juillet, le comte de Noailles reprit la cité par la ruse.
Petit et Bras, restés en ville, furent appréhendés et enfermés dans les geôles de la bastide. Calmels avait pu s’enfuir pour rejoindre ses partisans à Najac.
Venus des campagnes environnantes, plusieurs milliers de croquants assiégèrent Villefranche pour obtenir la libération de leurs chefs à partir du 20 septembre, assistés d’une couleuvrine prise à la forteresse de Najac et installée à Macarou, près de la fontaine du Temple. Le surlendemain, les troupes du roi, reprenant la main, dispersèrent les révoltés qui avaient pris possession du faubourg du pont et organisèrent une violente répression.
De terribles condamnations.
Petit et Brasc furent condamnés à être roués vifs sur la place Notre-Dame, le 8 octobre 1643. Leurs têtes furent exposées et leurs maisons détruites. La tête de Petit fut placée au sommet de la tour du pont et son corps sur une roue, côte de Macarou. Celle de Brasc fut exposée sur la porte dite de Savignac et son corps sur la colline de Saint-Jean-d’Aigremont. Il fut alors convenu que leurs têtes devaient demeurer là trois années, avec interdiction formelle de toucher les corps sous peine de mort. Néanmoins quelques semaines après, tous les corps, y compris ceux d’autres croquants pendus et accrochés aux fourches patibulaires de Saint-Jean-d’Aigremont ou de Macarou furent subtilisés et secrètement ensevelis.
Calmels, réfugié à Najac, fut dénoncé par son complice Rousset et fut interpellé le 10 octobre. Il fut jugé et condamné à Villefranche puis ramené à Najac avec deux autres habitants de cette cité arrêtés et également condamnés : Ferrier et Vergnes. Calmels fut roué vif le 20 octobre. Les deux autres, le même jour, furent pendus. Leurs corps furent exposés sur les gibets du Puech de Rigaud dominant le bourg castral. La tête de Calmels fut envoyée à Marcillac où il avait précédemment incité la population à la rébellion. Elle y fut exposée, au bout d’un pic, sur une des tours de la ville.
Un autre croquant fut exécuté à Villefranche le 11 décembre, tandis qu’une autre quarantaine, qui avaient été faits prisonniers, furent conduits aux galères.
L’année suivante, en mai 1644, le roi Louis XIV, qui avait accédé au trône le 14 mai 1643, accorda « l’abolition des crimes de rébellion et des croquants au pays de Rouergue ».
Ainsi se ferma cette page d’une fougueuse agitation et d’une violente répression dans le pays villefranchois.
L’origine du mot “croquant”.
On ne sait pas exactement pourquoi on appelait ces insurgés les croquants. Ce nom pourrait venir de Croq, un village de la Creuse, où des paysans s’étaient révoltés à la fin du XVIe siècle ou alors, peut-être, du slogan des paysans en 1594 qui hurlaient à l’adresse des nobles qui les croquaient « Mort aux croquants ! » ou bien encore du croc, un instrument de petite culture utilisé en guise d’arme par les mêmes paysans…
Qui qu’il en soit, le nom de Jean Petit passa à la postérité grâce à une chanson ancienne devenue très populaire, Joan Petit que dança (“Jean Petit qui danse”), référence à sa triste histoire. La modeste place Jean-Petit, jouxtant la rue Camille-Roques, à Villefranche, marque l’emplacement de sa maison détruite.
Ce texte, avec une centaine d’autres, figure dans le livre « Galerie de portraits de gens d’ici – Villefranche-de-Rouergue » de Michel Lombard, paru fin 2021.
Pour obtenir une information sur cet ouvrage : lombard-aveyron@orange.fr